jeudi 9 juillet 2015

Nouveau absolument Nouveau - Comédie - Acte III, scène 1


III1





(La lumière revient.

Les mêmes personnages sur scène, 
immobiles et dans la position où on les avait précédemment 
laissés, 
+ Junky 
qui, lui, se tient face au public.)





Junky –



    Dans la salle, une femme, assise jusque là sur un siège, attend d’être appelée



sur la scène au bureau de M. Leroy, le notaire. Elle n’y croit pas d’abord, elle se dit



qu’elle assiste à la suite de Nouveau absolument Nouveau, la pièce de théâtre qu'elle

est venu voir, et que, bientôt, celle-ci se terminera et qu’elle pourra rentrer chez



elle. Mais, à côté d’elle, dans le public, des hommes et des femmes sont appelés sur la scène

pour s'entretenir avec le notaire. Chaque spectateur est invité, après un entretien avec lui, 

à se coucher sur le divan médical sur la scène, et Lauvin ou Jaquet leur font une piqûre au bras ; 

après cela, les spectateurs sont accompagnés dans le couloir. Certains, dans le public, 

sont offusqués par le tour que prennent les circonstances, d’autres sont pris 

d’une crise de nerfs, et deux ou trois individus devant et derrière la femme cherchent 

à se faire rassurants : le spectacle est décidément trop long pour en être véritablement 

un, pense-t-elle alors, le spectacle est par trop long...


Progressivement, la femme de la salle prend peur, elle a maintenant conscience



que ce qui se passe sur scène est vrai et que, dans quelques minutes, elle perdra



tout ce qu’elle a : sa vie, sa famille, son travail ne seront plus à elle, peut-être



 n’auront-ils même plus aucune valeur pour elle. Bientôt, recouvrant des souvenirs



auxquels elle est, pour l’instant, hostile, elle se rendra compte que sa vie a été un



conte, une fiction, un jeu de rôles. Et, naturellement, naturellement, elle



veut conserver ce qu’elle possède : son mari, son métier et son enfant ; même si ce



qu’elle possède est une fiction, elle tient, quant à elle, à cette fiction. Telle



fiction, telle fiction est tout pour elle. Telle fiction, telle fiction est tout ce



qu’elle a. tout,  c'est-à-dire rien.



    Alors, elle se lève de son siège, en faisant bien attention de ne pas se faire



remarquer, et elle cherche à sortir par la porte de secours la plus proche. 

Quand elle arrive dans le couloir, elle tombe malheureusement sur un



policier qui l’oblige à revenir sur ses pas. A ce moment-là, elle est prise de vertiges, 

puis, furieuse et retrouvant son souffle, elle hurle à l’homme en uniforme 

qu’elle veut retourner chez elle, mais le flic,



(Junky indique alors du doigt Médecin 1, qui était jusqu'alors dans une position  figée,
et se réveille, et mime un policier interpelant un individu réfractaire.)



                                                                                                    le flic qui joue



son rôle à la perfection, l’en empêche naturellement : « Vous avez signé il y a



cinq ans pour être là, lui répond-il, il faut que vous appreniez maintenant qui



vous êtes, c’est la règle ! »



    Alors, la femme rétorque :



Femme (la même que celle qui jouait Camille Malaury à la scène précédente,
 revenant tout à coup à la vie)



                                                  Ce n’est pas moi qui ai signé !



Junky –                                                                                        crie-t-elle.



Femme –                                                                                                          Ce



n’est plus moi, ça n’a donc jamais été moi. Tout cela n’est qu’une horrible farce !



Salaud ! Je ne suis pas une otage !



Junky –                                            Et le policier répond alors :



Médecin 1 (répondant alors à Femme.)–                                          Très bien, partez,



mais partez donc ! Mais vous allez le regretter, je vous l’assure !



Junky –                                                                                           Le policier lui répond



cela : "Vous allez regretter ce que vous faites !"  Cela n’est plus, comme vous voyez, 

le médecin Lauvin qui parle, si tant est que le personnage de Lauvin ait été, un jour, 

un médecin, mais c'est un policier, n'est-ce pas ?  Il faut que vous suiviez la tournure 

que prennent les événements, si vous voulez apprécier la pièce. 

Et la psychologue Camille Malaury est maintenant la spectatrice dans la salle, 

qui pète les plombs. Il faut, pour comprendre le déroulement de l’action, 

que vous reveniez à ces règles des jeux de votre enfance,



dans lesquelles vous jouiez un rôle, puis un autre, sans qu’il n’y ait de logique



transcendant les actions que vous mettiez en scène, sinon, peut-être, la sirène de



l’école ou la voix de vos parents qui vous demandaient de rentrer, pour manger. 

L’important, quand vous étiez enfant, n’était pas d’être vraisemblable ou réaliste, 

mais de vous laisser porter par le jeu. Chaque rôle nouveau était inventé à partir d’un prétexte



permettant d’avancer dans l’histoire que vous inventiez avec vos camarades. 

Le monde des adultes est, fort heureusement, différent, n’est-ce pas ?  


Puis la femme se dégage des mains du policier et elle sort du théâtre ; elle fuit

donc, court, et court jusqu’à chez elle : "Un endroit qui ne change pas." Elle

entre dans son appartement et retrouve son homme, son compagnon, son mari,

qui fait ses valises dans la chambre. Elle fait tout cela, comme je le dis : 

c'est-à-dire qu’elle sort du théâtre pour rentrer chez elle, c'est-à-dire qu’elle va d’un point A à un

hypothétique point B se trouvant sur une carte, avance, avance d’une manière ou

d’une autre sur une surface, un sol lisse ou meuble, un territoire concret permettant, à

vous et moi, de la situer réellement si on le souhaitait, et elle fait tout cela ici

même, sur la scène, devant nous qui jouons le jeu avec elle.                      

Le notaire Leroy, toujours immobile, au bureau, va bientôt devenir son mari ;                

il va le devenir pour nous, nous qui jouons le jeu, pour lui et moi, mais surtout

pour elle qui ne joue plus. 

Le notaire Leroy est l’homme de cette femme et il fait maintenant ses valises 

dans la chambre, pour vaquer à une vie nouvelle. Il n’est plus Leroy, mais cet homme-ci, 

pour elle : elle, cette femme du public qui ne joue plus.





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