jeudi 14 mars 2013

L'Humidité, La revue (1970 - 1978)




Jean-François Bory crée et dirige la revue L'Humidité de 1970 à 1978. Avec les auteurs, poètes, artistes, etc. dont il s’entoure il invente un territoire joyeux et remuant, espiègle, parfois frontalement rebelle. Derrière cet esprit à la fois frondeur et dilettante, se construit un espace de pensée et de recherche, un vrai laboratoire où se croisent les pratiques poétiques et artistiques les plus novatrices du moment. 

L’Humidité a donc une place importante dans la galaxie des revues qui, en France, dans les années 60/70, ont servi de plate-forme et de courroie de transmission aux avant-gardes internationales, avec Les Lettres d’Ilse et Pierre Garnier, la revue OU d’Henri Chopin, Robho de Julien Blaine, Agentziade Jean-François Bory, puis la revue Doc(k)s de Julien Blaine… éd. Al dante, Marseille : 2012



Mère, comme un oiseau


Mère, comme un oiseau, 
faisant des pas de girouette autour du cercueil de ma grand-mère, 
il y a quinze jours, dans l'église de Barges, 
en Haute-Marne, près de Bourbonne-les-Bains.

Mère, comme un oiseau, durant la cérémonie d'enterrement. 
La famille de mon père, proche l'autel -- et de sa mère dans le cercueil --, 
à droite ; 
les cousins de mon père, à gauche. 

Froide église. 
L'hiver, le gris, la bruine, 
le sermon du prêtre travaillé comme un chef ;
quelques investigations de l'homme d'église, pour ce faire, 
dans le giron familial.

Éloge d'une dame ayant passé sa vie à attendre jusqu'à 97 ans,
Pénélope sans Ulysse.
Veuve depuis quarante ou cinquante ans.
Le trousseau, le rosaire.
Lit froid, donc, jusqu'au bout.

"Jeune" curé (40 ans), 
vacataire ou TZR de 10 ou 15 églises haut-marnaises, 
prébende ou salaire de l'éduc. nat. 
-- chacun sa croix.


-- Attendre un train ayant 45 mn de retard, le prendre &, les yeux au ciel, 
chanter des borborygmes avec un carton demandant l'aumône 
-- 10 wagons pour se faire 500 euros avant d'arriver à Lyon sans contrôleur ;
Prendre, en arrivant, le remboursement prévu par la SNCF.


Des prières sans qu'aucun fidèle n'ait de travail de deuil,
& deux euros pour la femme aveugle.

Mère, comme un oiseau.

Mère comme un oiseau, 
devant être arrêté dans sa marche pour laisser passer les fidèles à la communion
-- les fidèles du fond, en premier, et les proches de la défunte, en dernier. --
Perdue au milieu d'une église de village,
comme elle serait perdue dans le métro de Tokyo ;
puis, dans la voiture de mon père, reprenant sa litanie Cotorep :
"Un diable me parle dans ma tête depuis quarante ans,
et je prie pour vous contre lui tous les soirs."

Mère comme un oiseau sans église,
Mère de saint sans Terreiros,
Ton esprit vaut une chapelle,
et des femmes en transe,
des favelas du Brésil à Haïti,
chantent ton nom-gigogne.