jeudi 23 août 2012

23 : Rituel d'emportement


William Blake

FEMME – Mon voisin Jacques devient un chien avec moi, puis une puce, un tigre, un loup, n’importe quoi. Le mouvement de ses métamorphoses sur mon sexe me fait jouir maintenant.
HOMME – Ils éjaculent sur mon visage chacun à leur tour.
FEMME – Tanguy se laisse pousser les ongles pour me lacérer le dos. Je ne les retire pas : plaies purulentes.
HOMME – Des serments d’amour à plusieurs dans une chambre petite : lit rouge du sang des promesses.
FEMME – Il me pénètre en brûlant des allumettes et le soufre chasse mes démons.
HOMME – Julia me dit : « Je t’ai dans la peau », puis elle change de sexe avec moi. Julia parle par ma bouche maintenant.
FEMME – Jonas, Jonas, sur le dos, ferme les yeux et les rouvre, lorsqu’il jouit en moi. Jonas, Jonas est une poupée qui me fait jouir en ouvrant et baissant les paupières sur le dos.
HOMME – Il ne peut plus se passer de moi et sa jalousie est impossible.
FEMME – Le nom de mes amants tourne les roues mystiques de Lulle.
HOMME – Le 23 de chaque mois, nous nous mangeons l’un et l’autre.
FEMME – Le 23, Clara note six désirs et les joue aux dés : le 6 arrive. Clara sonne chez moi et me fouette, le 23.
HOMME – Nous faisons un enfant, Edith et moi, puis nous quittons la ville sans nous retourner.
FEMME – Marc me dit qu’il m’aime, Marc m’aime, Marc me dit qu’il m’aime, Marc m’aime…
HOMME – Je la rappelle, le 23 de chaque mois, elle a oublié sa rancune contre moi. Le 23 de chaque mois, elle veut me voir…
FEMME – Dominique devient beau, j’ai des raisons de l’aimer maintenant.
HOMME ET FEMME – Le 23, vous êtes là et nous ne nous connaissons pas.
HOMME – Et le 23…
FEMME – le 23…
HOMME ET FEMME – nous faisons l’amour entre nous dans nos rêves…
HOMME – et nos rêves…
FEMME – nos rêves…
HOMME – traversent nos murs.
FEMME – transpercent nos corps.
HOMME – Les 23 de chaque mois sur 23 mois…
HOMME ET FEMME – nos rêves traversent vos corps.

dimanche 12 août 2012

Dallas (2)




JR à Sue Ellen, On ne voit pas le cœur de l’homme. Oui, J., dit Sue. JR reprend, On ne connaît pas le cœur de l’homme. Oui, J., dit Sue. Comment je peux connaître le cœur de mon prochain ? reprend-il en direction de sa moitié. Comment se révèle-t-il ? Comment dévoiler ce qu’il éprouve vraiment, haine ou amour, et déceler le simulateur ? Je sais pas, dit-elle, mais, lui ne l’entend pas. Les détecteurs de mensonges ? Les Caractères de La Bruyère ? Les portraits des grands hommes brossés par Plutarque ? Une méthode ? La méthode ? On commence par des questions anodines pour savoir qui est l’assassin dans Cluedo. Une pause. – Comment fais-tu, toi, Sue ? Elle boit cul sec un verre de whisky et répond, Je sais pas. Il reprend. Commencer par des questions anodines, puis aiguiller l’interrogatoire du suspect sur le fond du problème : « Avez-vous un congélateur de la taille d’un homme ? un port d’armes ? un pic à glace ? Où étiez-vous le 25 novembre 2011 à neuf heures quarante-cinq du matin ? Portez-vous des chaussettes de laine et un tricot, l’hiver ? » On se sert des Caractères de La Bruyère ou du détecteur de mensonges pour déceler le simulateur...
    Je m’en fous, murmure Sue…
    La méthode donne quelque fois des résultats, poursuit JR, l’on peut trouver, avec elle, l’assassin dans Cluedo. Il faut avouer pourtant que la justice se trompe souvent, mais est-ce que l’on connaît une autre méthode, Sue ? Sue boit un coup, puis repartit à J., Non.   ̶  Non ?  redemande JR.  ̶  Non, répond Sue, je sais pas, je bois, c’est tout, c’est ma fonction ; ma fonction est d’être la femme battue de J.R. et qui boit d’un feuilleton de Dallas à l’autre pour oublier ! Mais J.R. ne l’écoute pas, il parle pour lui-même, pour un autre JR, derrière l’ombre de Sue…
    Le nombre d’erreurs de justice, Sue ! Oui, J, dit Sue. Le nombre d’erreurs de justice, Sue !   ̶   Alors, si la justice se trompe pour les crimes de sang, comment, dans un domaine pourtant moins tragique, l’amour, comment puis-je faire pour savoir si tu m’aimes ? Tu serais un monstre d’indifférence, Sue, et je n’en saurais rien ! Nous n’avons que les preuves d’amour, disent nos Pères, les propos de sa moitié, un « Je t’aime. »…
     ̶  Je t’aime, dit alors Sue ironiquement. Répète, réplique JR. Je t’aime, reprend Sue.  ̶  Je t’aime, je t’aime ! répète JR, rien, en somme, et on en est là depuis la nuit des temps, faute d’une fenêtre qui ouvre sur nos cœurs !
    Alors, puisque nous ne sommes pas transparents, puisqu’on ne voit pas son cœur, on s’invente des romans, on s’illusionne, on machine, on ménage, on copule, on couple. Voilà, c’est tout ! Sue se tait, se ressert un verre, boit cul sec, là. On couple, répète J.R...

    Sais-tu le nom du dernier des dieux romains, Sue ? Elle se tait, s’en ressert un autre, boit cul sec, là. Sais-tu le nom du dernier des dieux romains, Sue ? Elle se tait, boit cul sec, là.  ̶  Momus, c’est le nom du dernier dieu romain : Momus. ̶  C’est bien, marmonne Sue, j’aurais appris quelque chose dans ma journée… J.R. reprend, Un dieu qui ressemblait aux bouffons des rois au Moyen Âge avec leur marotte, leur bonnet tricorne, leurs grelots et un sourire méchant. Momus, le fou des dieux, né à l’époque de la Rome néronienne, alors que les premiers chrétiens servaient les bûchers des avenues romaines et les fauves du cirque. Un fou révélant aux dieux leurs quatre vérités et qui servira encore, au seizième siècle, à Giordano Bruno pour en finir avec le monde médiéval dans Expulsion de la bête triomphante  ̶  Sue Ellen, là, face au public (en aparté), J.R. est cultivé, à n’en pas douter !... ̶  Donc, Momus va voir Jupiter pour lui parler de sa créature, l’homme. Tu en es fier ? demande Momus à Jupiter le plus grand des dieux. Tu es fier de l’homme, ta créature ? Oui, lui répond Jupiter, je suis assez content de cette vieille invention, elle est épatante ! Quelle ingéniosité ils ont, je trouve ! Ils survivent depuis la nuit des temps, mais ils s’en sortent toujours ! – Pfffff ! mugit alors Momus. Pfffff ! Comment peux-tu ? Tu es donc aveugle ? Quoi ! s’exclame Jupiter, mécontent d’être ainsi importuné par le dernier-né, le cadet des dieux du panthéon antique, mon invention ne te plaît pas ? Qu’est-ce que tu lui trouves ? Alors, Momus répond, péremptoire, Jupiter, il manque à ta créature une fenêtre sur son corps, en haut à gauche du plexus, lui permettant de voir son cœur et le cœur de son voisin. Voilà ce qu’il dit Momus à Jupiter ! il ne manque pas d’air ! Si tout va mal dans la société des hommes, c’est qu’aucun d’entre eux n’est capable de voir son cœur. Dès lors, ta créature ne peut faire autrement que de se tromper de femmes ou de tromper sa femme. Parler d’amour ou écrire sur l’amour, comme le font les poètes, c’est totalement vain ! Fondamentalement, l’homme ne peut pas parler d’amour, il ne sait pas ce que c’est ! Qu’est-ce que l’amour pour lui ? Un sentiment ? Un état ? Un gaz diffus ? Une marotte ? Et son cœur ? C’est quoi, son cœur ? Une pompe distribuant le sang dans son organisme ? C’est ça le cœur ?

    Alors, Jupiter, irrité, n’en pouvant mais du Momus, le puîné des dieux, lui répond... Jupiter lui répond, C’est bien, le petit dieu, le nouveau, tu as de la répartie. Alors, puisque tu es le dernier de mon panthéon et que nous sommes tous les deux à la fin de notre règne sur Terre, avant l’arrivée d’Attila et des Huns, avant de crever devant l’ère chrétienne, je te fais un  cadeau : je t’autorise à inventer un homme nouveau. Invente, si tu le souhaites, un homme avec une fenêtre sur le coeur. Bientôt, Rome sera mise à sac et nos temples seront désaffectés, bientôt nous ne serons plus qu’un vague souvenir pour eux.  Je te donne le pouvoir de créer l’homme transparent, celui qui verra son cœur ; Vulcain dans ses forges t’aidera pour l’occasion.

    Qu’est-ce que je risque à te donner ce pouvoir ? Rien, nous allons bientôt mourir tous les deux, alors qu’est-ce que j’en ai à foutre maintenant ? Eh oui, Momus ! Même les dieux meurent un jour ! C’est ainsi. Mais, moi, vois-tu, je resterai dans la mémoire des hommes comme le père des dieux, ils liront ma vie et mes aventures dans leurs écoles, tandis que toi, personne ne se rappellera de toi ! Tu es arrivé trop tard, Momus ! Edifie l’homme transparent, je m’en lave les mains maintenant. Edifie-le ou laisse l’homme l’édifier pour lui même. Je te donne même le droit de lui révéler qu’il est le maître de son destin, comme Prométhée lui a donné le feu. Montre-lui son cœur.  ̶  Sais-tu quoi ? Les hommes sont incapables de se prendre en charge eux-mêmes, ils n’en ont pas les couilles ! Ils préféreront ignorer qu’ils sont des dieux, ils se mettront la tête sous la terre, comme des autruches, pour ne pas entendre qu’ils peuvent s’inventer des cœurs et des amours singulières et monstrueuses, comme nous en inventons pour nous-mêmes. Il n’en veut pas de son cœur, l’homme, conclut Zeus, c’est un lâche ! Laisse-le où il est, t’emmerdes pas avec ça…

    À cet instant, Sue Ellen est prise d’une crise de rire. Pourquoi tu ris ? lui demande JR. Elle n’en peut plus, Sue Ellen, elle pisse dans sa culotte, elle est incapable de se retenir. Pourquoi tu ris ? répète JR. Pourquoi tu te roules par terre comme cela, convulsivement ? Sue Ellen se roule, en ce moment, littéralement, sur le tapis persan… Qu’est-ce que tu es drôle ! s’exclame-t-elle. « Ils sont incapables de s’inventer un destin ! Les hommes sont incapables de s’inventer un destin ! », râle-t-elle. J’ignorais que tu pouvais être aussi drôle ! Mais qu’est-ce que tu as mangé, dis ? Comment tu parles ? hurle même Sue. Alors, JR s’énerve, il devient furieux, il ne se maîtrise plus, JR, c'est comme si le diable lui avait pris son corps, et il la frappe à mort.

    Lorsque l’ambulance arrive, aux brancardiers qui la prennent, il dit, Elle est tombée dans les escaliers. Et les brancardiers tiquent, mais ils ne bronchent pas, et ils emmènent gentiment Sue Ellen à l’hôpital. 

    1-2-3 : " Pin-pon-pin-pon-pin-pon !!!"