samedi 15 octobre 2011

Extrait d'une lettre de John Keats à Richard Woodhouse

Masque mortuaire de Keats


En ce qui concerne le personnage poétique lui-même (je veux dire de ce genre, si je suis quelque chose, je suis - distinct du personnage wordworthien ou du sublime égotique - qui est per se et existe par lui-même) - il n'est pas lui-même - il n'a pas de moi - il est tout chose et aucune - il n'a pas de personnalité - il aime la lumière et l'ombre - il vit in gusto, dément ou raisonnable, tout en haut ou tout en bas de l'échelle, riche ou pauvre, mesquin ou élevé - il éprouve le même bonheur à concevoir un Iago ou une Imogène. Ce qui choque le philosophe vertueux enchante le poète caméléon. Il ne blesse personne de sa joie en la partie obscure, pas plus que de son goût pour le côté lumineux - car tous deux se résolvent dans la spéculation. Un poète est la moins poétique des choses qui existe, car il n'a pas d'identité - il est continuellement présent pour l'autre - et envahissant un autre corps - le soleil, la lune, la mer, l'Homme et la Femme qui sont eux mêmes des créatures issues de l'impulsion, donc poétiques, et qui portent en eux un attribut invariant - le poète n'en a pas - pas d'identité - il est à coup sûr la moins poétique des créatures de Dieu. Si donc le poète n'a pas de moi et si je suis un poète, où réside l'étonnement si je déclare que je n'écrirai plus jamais ? N'aurais-je donc pas, à l'instant-même, réfléchi sur les personnages de Saturne et de Ops ?

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Quand je suis dans une pièce avec des gens, si jamais je suis libre de spéculer sur des créations de mon propre esprit, alors ce n'est pas mon moi qui retrouve la maison de mon être ; mais l'identité de chacun dans la pièce commence à faire pression sur moi, de sorte que je suis en très peu de temps annihilé - pas seulement parmi les êtres humains - il en serait de même dans une crèche emplie d'enfants. Je ne sais pas si je me fais complètement comprendre.

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Mais même en cet instant je ne suis pas en train de parler de moi-même, mais de quelque être en l'âme duquel je vis.



(Traduction : Céline Faure)

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