lundi 17 octobre 2011

Allongé sur les eaux


Vishnu Nârâyana
l'une des multiples représentations de Vishnu,
allongé sur les anneaux du serpent Sesha, au réveil,
et flottant sur les eaux de l'Océan causal.
Sur son nombril apparaît Brahmâ assis sur un lotus
et se préparant à recréer le monde.




« Je joue une note par jour. »

La Monte Young



Allongé sur les eaux, comme Vénus sur son coquillage, Vishnu se réveille et porte les yeux à son nombril. Il ne se lève pas, le dieu est essentiellement paresseux. Il dormait sur les flots et se réveille là, en un souffle et sans un mot, son nombril, rose aux vents, sur lequel émerge un lotus à l’orée des mondes − Sans doute, un réseau de bébés univers reliés entre eux par des trous de ver, si l’on suit les travaux des cosmologistes actuels sur le sujet.

Le souffle de Vishnu est calme et harmonieux, il respire en rythme par le nez, l’anus contracté et l’œil rivé sur son lotus.

La larve originelle,

le pou divin du comte de Lautréamont,

un virus à l’origine de la vie,

tels m’apparaît Vishnu au creux de la vague.

L’image me fait maintenant penser à un fœtus dans un bocal sur les rayonnages d’une fac. de médecine.


− C’est le fond du fond, voyez-vous ? La singularité initiale et hors du temps ;

le Sul & le Phur de Jacob Boehm,

mais un Sul & un Phur au pas cadencé et qui imprime sa marque au monde ;

l’Inspir & l’Expir d’Allah.

(Le nom d’Allah ou de Vishnu en Trade Marked, maintenant, aux quatre points de l’univers ; leur bâillement au réveil fait craquer les murs de la Maison initiale !)

L’instant où toute la masse de l’univers a été comprimée en un état de densité infinie.

On estime désormais la singularité initiale, à l’origine du Bing Bang, à quinze milliards d’année de nous.


Nul ne peut décrire la singularité initiale, aucune science ne peut en découler,

seuls un dieu, un enfant, un poète ou un fou peuvent en découdre avec elle.

Ils exhibent, pour ce faire, leur nombril en public, comme paupières battant en plein vent, dessillement des yeux chassieux au réveil.

Seuls un dieu, un enfant, un poète ou un fou exhibent sans honte l’ombre d’un ombilic à la face du monde !


Ainsi, le poète Jacques Rigaut avertit dès son premier texte : « Mon ventre est intact. Je n’ai pas de nombril, pas plus qu’Adam. Sans origine. »

Et Ghérasim Luca dans Quelques machines agricoles, en 1942 : « Ce personnage sorti du ventre maternel non pas avec la vague tendance d’y retourner, mais avec une réalité utérine si forte qu’on se tromperait moins en pensant qu’il ne l’a jamais quitté, seul l’œil de cyclope aveugle du rationalisme contemporain se permet encore de le confondre avec les gens des bureaux et des champs. »

Il est bien évident que nos mères ne nous ont jamais vraiment mis au monde.


Présence, absence du nombril rose de Rigaut et de Luca ;

lotus, dans les deux cas ;

le jeu à la vie à la mort pour sortir des eaux du Léthé.

Lotus roses de Jacques Rigaut et de Ghérasim Luca.


− « Je vais bientôt mourir d’un cancer. », annonce, dans les années 80, le comique américain Andy Kaufman aux médias, une fois, « Je vais bientôt mourir d’un cancer. », annonce, dans les années 80, le comique américain Andy Kaufman aux médias, deux fois, « Je vais bientôt mourir d’un cancer. », annonce, dans les années 80, le comique américain Andy Kaufman aux médias, trois fois, « Je vais bientôt mourir d’un cancer. », annonce, dans les années 80, le comique américain Andy Kaufman aux médias, quatre fois.

Le jeu canulars à la vie à la mort pour sortir des eaux du Léthé.

Un lotus émerge aussi sur le nombril du comique américain Andy Kaufman.


− Un lotus émerge :

battement des yeux, les paupières closes, puis dessillées ;

le lotus se devine en un flash, mais nul ne peut le toucher ;

l’immédiateté, l’hui, la présence au grand jour, la singularité initiale, le passage d’un ange ne peuvent être compris, le souffle est coupé dans les gorges, jusqu’à

donc, se jeter la tête la première dans un puits ou tomber par mégarde dans un volcan, recommencer plusieurs fois l’opération ou ne rien faire du tout, affirmer le pire à ce propos, dire que l’on se donne la mort pour rire, jusqu’à –

Apparition d’un lotus sur le nombril d’un dieu, pour rire


apparition d’un lotus.


« J’ai enfin trouvé l’épitaphe que j’écrirai sur ma stèle ! », me dit au téléphone un ami, l’artiste contemporain Eric Madeleine, « Sur ma stèle, je veux qu’on écrive : « Merci d’être venus aussi nombreux à mon enterrement. ». »

Battement des yeux, les paupières closes puis dessillées : un enterrement vrai, pour rire !


Autre exemple :

Mort parce que bête, le plus beau titre n’ayant jamais été écrit de main d’homme.

« J’ai publié Mort parce que bête qui compilait les derniers aphorismes de Nietzsche, dont la phrase : « Je veux mon chocolat Van Hooten ! », m’avoue l’écrivain et éditeur John Gelder chez lui à Paris, « mais certains aphorismes étaient de moi. Je suis assez fier que ce vrai-faux Nietzsche passe maintenant pour un vrai dans les bibliographies des universitaires du monde entier. »

Mort parce que bête ! Aussi con, bête, pathétique et idiot que Vishnu sur sa vague en train de contempler son nombril !


Autre exemple :

Je me suis marié, il y a de cela, six ans. Sur le carton d’invitation du mariage, j’avais dessiné deux jeunes mariés qui formaient des glaçons dans un verre, et j’ai divorcé, dès que la glace s’est brisée, deux ans plus tard.

« Merci d’être venus aussi nombreux à mon mariage ! », écrirai-je demain, sur le carton du prochain tir, « Merci ! »

– « Merci ! »


Rare est le jeu de la vie, de l’amour et de la mort que l’on se donne pour rire ; ce jeu-là est un lotus singulier, une idiotie absolue, quelque chose qu’il ne faudrait voir qu’une fois tous les mille ans derrière le champ de rayonnement cosmique ; et le jeu fait terriblement souffrir. Mais la vie, telle que la société nous l’impose, est si lamentable, son conformisme si pitoyable que certains sont prêts à payer le prix fort. Ils sont même probablement de plus en plus nombreux, aujourd’hui, à regarder un lotus pousser au milieu de leur nombril ; que voulez-vous ?


− « - Une singularité survient quand la trajectoire à travers l’espace et le temps de tout rayon lumineux s’interrompt et ne peut continuer plus loin.

- Le point est donc excisé de l’univers et la trajectoire du rayon lumineux s’interrompt également. »


Point excisé de la course du temps, ligaturé, coupé, nombril ou lotus, présents, absents, lune verticale au sommet du ventre, apparaissant nue, loin des hommes, à l’abri de la chambre close ;

quelque chose qui marche dans l’instant et dont on ne peut parler sous peine d’en rire.

Le jeu de la vie, de l’amour et de la mort dans l’instant, difficile de garder son sérieux en l’évoquant.


Le sacré est l’absolu pathétique, le sacré est le « Bon ! femme qui pète n’est pas morte ! » que lance à Rousseau la comtesse de Vercellis sur son lit de mort.

Seul le monde du travail, le monde profane, le monde rationnel, est sérieux et hygiénique, seul il distingue, fait des projets, suit les programmes, fabrique des lieux, des livres et des hommes pour les lire et y vivre.

Le monde du sacré, quant lui, est l’œil de Vishnu contemplant le lotus sur lequel est posé Brahmâ qui crée et recrée un monde totalement singulier, neuf, donc idiot et pathétique.

Le monde du sacré est le kitsch, grotesque, idiot et pathétique intégral des images hindoues, le nombre incalculable de leurs dieux, la complexité de leurs mythes.

Le monde du sacré est réel, le monde du sacré est absolument idiot.

Vive l'idiotie !


– Régression et dispersion, à l’image des bas-reliefs de dieux hindous pullulant sur les murs des temples, en Inde, tels des poupées sur le sol dans une chambre de petite fille.

La petite fille me montre son nombril, maintenant, pour que je l’admire : « Admire mon soleil », me dit-elle alors dans un sourire, « Admire mon soleil ! »

Et moi, je ferme les yeux et la chambre, avec l’enfant et ses poupées, dedans.


Je laisse la petite fille au milieu de ses poupées, dans la chambre,

je laisse une vieille femme au milieu de ses souvenirs, dans la nuit.


Je ferme les yeux et le drap de la vieille femme sur ses souvenirs.


Deux pièces sont alors disposées sur mes yeux : chambre de petite fille, dans l’une, chambre de vieille femme, dans l’autre ;

Lotus dans les deux cas.

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