dimanche 21 décembre 2008

Texte aux encordés


Paul Rebeyrolle, Chien

- I -


L’homme est un oiseau sans plume

qui porte son nom comme un mulet son fardeau.

Le nom de l’homme est une ombre double,

le vêtement de chimère au moyen duquel

il campe sa dignité sur Terre.

Et l’homme s’essouffle à dire son nom,

il s’essouffle à porter des habits inexistants,

et sa voix s’étrangle…

sa voix s’étrangle et caquette et cloquette.

Kac…

Kac…

Kac…

Kac…

Cloc…

Cloc…

Cloc…

Cloc…

Cloc…


- II -


L’homme n’est pas un,

il n’est pas deux,

n’est pas un homme,

n’est pas une femme,

mais un ensemble,

un état,

une batterie de poulets déplumés

qui caquettent et cloquettent.

Et leur voix s’essouffle à porter l’homme,

tout clapier d’ovipares morts ou vivants

qui le tiennent à distance de, par une corde,

et empêche leur respiration de tendre vers,

empêche leur voix d’arriver à,

arrêtés,

arrimés qu’ils sont,

alors qu’ils pourraient se reculer,

parvenir à distance de,

pour reprendre,

pour retrouver,

pour permettre à… de…

et mettre du jeu à la laisse.



- III -



L’auteur est cet oiseau qui cherche à tirer sur la corde plus fort que les autres, pour que, essoufflé, étranglé, parvenir à faire entendre sa voix :

- Kac !

- Kac !

- Kac !

- Kac !

Entendez comme il s’essouffle et combien sa voix et son nom montent haut !

- Cloc !

- Cloc !

- Cloc !

- Cloc !

Son corps porte sa charge tendue jusqu’à la voix pour toucher le public comme cible ou ensemble ovipare cherchant à entendre Kac,

ensemble de viandes blanches cherchant graines de maïs appelé texte, poésie, théâtre ou Kac,

Suffocation par empathie du vocable Kac dans un micro tendu

jusqu’à Soma.

- Kac !

- Kac !

- Kac !

- Kac !

- Kac !

- Kac !

- Kac !

- Kac !

L’empathie gagne, la pitié tragique ou Kacarsis devant chant du cygne Kac,

shooting d’une mère de saint dans un terreiros près de Saõ Paulo au Brésil.

Comme je porte bien mon nom !

Je suis Atlas !

Je suis Artaud !

Je suis Dieu !

Je suis un con.


-IV-



Je bande !

Regardez la mandragore jetée par-dessus la jambe ou rampe à travers voûte céleste, au nez, au vu et su des spectateurs du premier rang.

C’est l’opéra moderne.

Jadis, les femmes se mouchaient, cependant que les nobles, qui avaient payé leur place sur scène, applaudissaient.

Mais il n’y a pas de Kac

derrière une page ou devant un micro.

Je peux toujours chercher un homme, une lanterne allumée en plein midi,

je suis seul,

je suis absolument seul à bander.








C’est le chant du cygne,

les derniers mots du condamné à mort.

ll ne pourra plus s’écraser,

devra vider son sac devant nous.

(Tout le monde sait que le condamné à mort parle

et que le poète exulte son texte comme s’il s’agissait du dernier)


Ô le joli texte emmailloté

comme une grille autour du corps du petit Jésus !

Sa maman passe ses soirées à le déculotter

et le branle pour qu’il rote.

Le rot le met aux anges :

sa parole est volute ou gaz,

petite bible de poche pour enfants sortis des langes.


– Ouououououps !

Respiration forte,

mise en apnée avant retour de bandelettes

sur le tendre cadavre, rose et dodu

du petit poulet, petit mignon Osiris.


– Retour de bâton :

Isis, sa maman, ou Marie, vierge ou hystérique,

je ne sais plus,

lui recoupe le kiki.


Alors Kac !

La voix reprend ses saccades.


Kac !


La langue s’empâte, devient bleue,

la bouche montre les gencives,

cependant que le sang ne monte plus à la tête.


Cela mastique alors,

cela bave,

cela se chie dessus,

mais toujours,

par un miracle de la nature,

selon un rythme,

ïambe et dactyle,

toujours en mesure,

la grille des mots.


Le message est si fort,

La parole si prophétique

qu’on en oublie le corps du supplicié.


Cela mâche,

cela mastique,

cela s’astique par en-dessous,

cela ne respire plus, et pourtant cela vit encore,

cela ne mange plus depuis des années,

mais cela marche, rit, fait la vaisselle et les courses,

cela ne meurt pas,

parce que cela a pris soin d’écrire ses mémoires, ses idées, ses visions

que des rats mangent sur des étagères

en compagnie des savants et des érudits,

des professeurs et des écoliers.


Kac !

Kac !

Kac !


La tête est violette et le sexe apparaît rose !


Comme c’est beau !

Il est prêt pour la Pléiade !

C’est Elephant man qui récite le Notre Père,

un sourd-muet qui chante la Marseillaise à l’ORTF,

ou un réfugié qui ânonne du français

pour le Contrat Accueil Intégration.


Cela a encore besoin de corps fétiches et de textes fétiches.

Cela ne croit plus au culte d’aucun dieu,

mais cela a besoin de culture.

Cela se tait et cela attend religieusement que ça passe.

Et parfois cela passe, oui,

on ne sait trop quoi.

Le petit Jésus mignon, emmailloté,

ou la mandragore.

Et puis, l’on retourne chez soi,

quand le spectacle est fini.


On n’a rien compris du tout,

On n’a rien compris du tout,

mais c’était joli.

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