vendredi 30 mars 2007

Onomastique Bruno Lemoine© (suite)

... Car il nous faut reconnaître les enfants que nous avons mis au monde, ce qui signifie que certains manquent à l'appel ou ne sont pas reconnus.

Dans les romans de Faulkner, par exemple, la question du racisme, le "sang impur", est une raison pour qu'un Sudiste ne reconnaisse pas son fils. Ainsi, Sutpen, le personnage principal d'Asalon ! Absalon ! ne reconnaît pas Charles Bon, l'enfant qu'il a eu avec une première femme sur l'île de Haïti : Charles Bon n'est pas Charles Sutpen, mais Bon, comme Charles le Bon ou le Bienheureux, comte de Flandres du douzième siècle ; ainsi, dans Lumière d'août, le métis Joe Christmas se pose la question de son origine, se croit noir tandis que les autres le voient blanc, mais reconnaît dans son nom un noir, car dans le Sud des Etats-Unis le nom des noirs doit être impropre à la désignation d'un homme : son nom est donc celui d'une fête religieuse comme celui de Bon est celui d'un personnage historique. Question de caste ou de clan. Si, pour Faulkner, les noms comme les mots ne signifient rien, comme dans la philosophie zen ("Les noms qu'on leur donne, ça n'a aucune importance", déclare, dans Lumière d'août, Addie à propos de ses enfants), ils participent pourtant d'une culture, de la représentation que les hommes se font de ceux qui les portent : ils ne signifient rien et tout en même temps : position paradoxale, oblique, double, que chacun d'entre nous ressent, comme reflet dans le miroir.

Car nous sommes, qu'on le veuille ou non, issus d'une culture et, quelque soit la culture dans laquelle nous sommes nés, le nom que nos parents nous donnent est ce Double avec lequel il nous faudra composer. Comme le montre Lévi-Strauss dans La pensée sauvage, la nomination est un mode de création des destinées sociales. La société engloge l'individu et sa marche sur terre de part le nom qu'elle lui donne et le type de femme qu'elle lui permet d'obtenir. Joe Christmas est le nom attribué dans le Sud des Etats-Unis à un noir, comme Steve est aujourd'hui un nom français attribué à un garçon issu d'un clan inférieur et Valentin, celui donné à un enfant français d'un clan supérieur. Steve devra apporter à la maison des notes moyennes ou mauvaises de l'école, tandis que Valentin ne se pardonnera jamais d'être un mauvais élève. Si aujourd'hui l'on ignore ou l'on fait fi d'ignorer cela, si la société refuse de remarquer qu'elle n'est pas libre de nommer ses enfants, c'est que la prise de conscience d'un tel état de fait remettrait en cause ses fondements mêmes. La société préfère ne pas voir qu'à toute métaphysique, il y a une technique et, qu'elle même est dépendante d'une cosmologie. C'est encore dans de trop rares moments de lucidité que certains de ses indigènes se réveillent.

Le Blanc est lui aussi un indigène de la République. Croit-il que son nom n'est pas son Double ? Croit-il avoir été libre de choisir sa destinée ? Moi, "Bruno Lemoine", c'est parce que j'ai eu la chance d'avoir un nom aussi connoté que je cherche aujourd'hui le moyen de m'en libérer.

mercredi 14 mars 2007

mardi 13 mars 2007

Poésie et magie/PLan 1/Réflexions

On peut...
L'essentiel, c'est de voir ce qu'en poésie et en littérature on peut faire aujourd'hui avec la magie.
Une ethnolittérature ? Voire, mais sans tomber dans le travers de l'exotisme ou de l'ethnocentrisme. Telle question peut prendre des années avant d'obtenir une réponse...

Mère des saints.
Baodong.
Sorcellerie dans le boccage.
Sorcellerie médiévale japonaise, etc. La liste est longue...

3- Le problème que pose la magie pour un écrivain, c'est qu'elle est ancrée dans une tradition généralement séculaire, alors qu'il faut être absolument nouveau. On peut critiquer cet appel du nouveau, mais c'est notre faiblesse. Rêver d'un livre qui n'ait jamais été produit.

Lévi-Strauss écrit au sujet de la magie, dans la préface de Sorciers et jeteurs de sort de l'ethnologue Marcelle Bouteiller : "Cette confrontation du présent et du passé conduit à une constatation remarquable : la faible plasticité des arts magiques. Depuis des siècles et sans doute des millénaires, d'un bout à l'autre du monde, les mêmes croyances et les mêmes techniques se perpétuent, souvent même dans le plus petit détail.".
Cette affirmation est à relativiser : la sorcellerie telle qu'on la pratique encore en France n'a rien à voir avec celle pratiquée en Afrique ou en Asie, mais telles ou telles traditions cherchent rarement à se remettre en question ou à inventer.

4-On peut laisser là et passer à autre chose.
5-N'est-ce pas ?

6-La curiosité vient du fait que justement, dans tel domaine, on insiste trop sur le fait qu'il n'y a rien à voir ou que c'est dangereux.
Parce que, justement, dans la magie, l'empathie vient du fait qu'il n'y a rien à voir.

7-Apologie du vide.

8-Ce n'est pas Je n'ai rien vu, mais j'ai vu RIEN. Et de ce rien naît la peur.
9- Le mauvais oeil n'est rien d'autre que regard biaisé et retro-eyed-movement.

10-Poursuite des actes manqués.

11-"Ferme le livre, si tu ne veux pas perdre la tête" ou "Tourne la page, si tu l'oses."
12-Si tu as lu ce message jusqu'au bout, c'est que tu es perdu.

13-Au fond, le but du jeu serait que l'on ne puisse plus appeler ça poésie ou roman.
Qu'on se pose la question : est-ce que c'est vrai ? Vraiment ?

15-Problème du cadre de communication : le livre, roman, performance, art. On sait que l'on est au spectacle.
Pour faire croire au vide, sans passer par un culte ou une culture, il faut soit jouer du jazz comme Sun Rha, soit émettre des propositions poétiques là où on ne les attend pas.

17-Ai-je imaginé cette voix qui me disait :"Entends-tu le silence?"



samedi 10 mars 2007

Mnémosyne


Le théâtre de la mémoire, Giulio Camillo


Helen est représentée assise à son bureau, dans une chambre d’étudiant d’un campus californien. Nuit lumineuse sous la voûte inversée de San Fransisco, perte des cieux au crépuscule, souvenir pur des étoiles et des planètes évoquées par ses habitants depuis bientôt cinquante ans. Depuis cinquante ans pour nous aussi, souvenir pur d’Helen rédigeant une thèse sur le cerveau humain que son professeur attend : des connexions neuronales sont les chambres d’un Palais de mémoire, stimulations des influx nerveux, ville somnambule sous un crâne étroit, boîte ou chambre noire, intervalle entre deux vibrations de matière, temps en suspens brisant la vague comme un estoc, l’ensemble figurant une machine cohérente dont on peut mesurer l’énergie comme un pouls et diagnostiquer le malaise. Ses études possédaient un réel intérêt, qui lui permettraient de faire des découvertes utiles par la suite, le temps que sa mémoire travaille en poursuivant l’algorithme indiqué : des combinaisons logiques apparaissaient déjà.

Le jeu en valait la chandelle, jeu difficile, ardu, mais une petite voix, souvent, lui glissait derrière elle : Pourquoi les humains le font alors ? Et pourquoi t’ont-ils choisi, toi, pour cette place, exactement à cette chaise et devant cette table ? Tout cela n’a-t-il pas de sens ? Il faut que tu y croies, Helen. - Alors, Helen croyait en Hebb, puisque son directeur avait voulu que ses recherches portent sur les théories de ce psychologue canadien, et elle avait repris ses expériences sur les stimulations neuronales, où des étudiants habitaient des appartements-témoin dans lesquels rien ne passe, sauf l’ennui. Dans l’expérience de Hebb, que Helen répétait, l’oisiveté devenait un supplice, les cobayes n’ayant pas le droit de lire, de regarder la télé ou d’écouter la radio, la seule occupation, qui leur était concédée, étant de pouvoir écouter une cassette sur laquelle un animateur prévenait les enfants de six ans des dangers de l’alcool et un présentateur informait de cours de la bourse éculés.

En comptant le nombre de semaines essuyées par ses cobayes, Helen se disait que l’ennui avait un poids, qu’il était une matière que l’on pouvait mesurer comme l’électricité, un atome ou une étoile. Oui, dire que l’ennui pesait sur les épaules n’était pas seulement un cliché poétique pour Helen, mais c’était aussi une équation déjà écrite et prouvée, et, en poursuivant ces expériences, Helen sentait qu’elle-même était devenue un cobaye, et tous les étudiants vivant dans une chambre, un studio ou un appartement reflétaient son désarroi. Car l’expérience ne durait pas une semaine ou quinze jours pour elle, mais de cinq à sept ans, le temps de la rédaction d’une thèse. Alors, Helen éprouvait devant sa tâche une angoisse insurmontable, les rires et les pleurs la prenaient souvent le soir au même instant, puis rage et honte mêlées, jusqu'à ce qu’enfin l’espoir du diplôme et du salaire correspondant reviennent : Il faut que tu y croies, Helen, il faut que tu y croies. S’agenouiller devant sa table de travail ou la croix, jusqu’à ce que l’esprit perde le dessus et que Dieu, Mnémosyne ou je ne sais quel Grand Art l’emportent. Ce n’est pas toi que l’on attend, mais les autres sillons avant toi et ta main bougeant dans les marques des anciens jusqu’à inscrire un sillon plus grand sur le disque. D’autres viendront ensuite et écouteront ton air, comme s’il était nouveau, et ils diront : « Quelque chose de nouveau se passe ici, entendez-vous ? ». Quelque chose se passe ici aussi pour toi.

Helen comprenait peu à peu que ses cobayes avaient quitté l’expérience, parce qu’ils avaient la possibilité d’espérer autre chose de leur vie, mais que, si l’espoir consistait en cette seule expérience, comme pour elle, ou si un homme sans espoir se présentait, alors l’expérience de Hebb se trouverait démentie, et nul paradigme ne serait assez pertinent pour le relever, nul paradigme comme nulle vie prise au hasard pour un relevé-témoin.

vendredi 9 mars 2007

Ars Magna






Les Roues de Lulle

jeudi 8 mars 2007

Nijinski/peinture/saut



Les trois premiers cahiers de Nijinski sont composés de dix pages de dessins abstraits, des mandalas à ce que l'on m'a dit ; ce qui me paraît vrai, le cercle de feu étant un symbole actif d'une valeur humaine considérable, et qui se retrouve dans son écriture, pour qui a lu ses Cahiers : les opinions de Nijinski se résorbent en cercles, en contradictions flagrantes d'une page à l'autre, manifestant la volonté de libérer sa pensée de la pesanteur des concepts. Puis viennent quinze pages de notation chorégraphique configurant la danse de l'écriture à venir et qui n'aurait pas dû être publiée typographiée, mais bien photographiée, comme le souhaitait l'auteur. Le quatrième cahier est, selon les mots de Christian Dumais-Lvowski, le préfacier de la version (non-) expurgée des Cahiers, publiée chez Actes Sud, une "annexe". Actes Sud n'a donc pas jugé utile de la publier dans son intégralité. Grosso-modo, ce qui devait être traduit a été traduit, mais les poèmes de Nijinski en français... Il faut vous dire, Madame, Monsieur, que Nijinski n'a jamais fait l'effort de parler français correctement, et son écriture... Même un collégien, de nos jours, ou bien un écrivain pour son premier livre, passons. Mais là, on ne voit pas bien l'intérêt de se donner de la peine.
- Comme si le travail de création était une question de docilité à la langue et qu'il y avait un ordre des mots du dictionnaire à respecter pour écrire.
- Oui, mais, voyez-vous, le lecteur est méchant et mesquin.
- Mais, moi aussi, et plus l'on me dira que le lecteur est méchant et mesquin et moins je ferai d'effort. Car, voyez-vous, en littérature brute, il n'y a pas de lectorat, biffé le lectorat ! Dostoïevski était assez proche de cela, quand il écrivait son Souterrain. Et d'ailleurs, moi, Madame, Monsieur, je trouve que je me relis beaucoup trop pour quelqu'un qui ne veut pas se soigner, en plus je trouve qu'il ne s'agit plus ni de soigner son écriture ni de se soigner tout court, mais d'aiguiser son mal bien profond dans un blog, choisir pour ça des médecines pas du tout parallèles ou génériques pour enfoncer bien profond le trou de la Sécu littéraire !
Et j'aimerais vous y voir, vous aussi, dans mon trou du cul de blog comme Souterrain !
J'aimerais qu'on soit deux à danser la gigue avec un mal de dent qu'on ne veut pas arracher aux urgences, deux à ressentir son mal bien profond, sans recherche de soulagement, sans ticket modérateur, rien que le plaisir de se faire souffrir et d'aimer ça.

Donc Actes Sud n'a pas voulu de la poésie de Nijinski et nous a laissé sa prose sans intérêt puisqu'il y manque l'essentiel, à savoir le quatrième Cahier que j'ai pu recopier à la bibliothèque de musique, près de l'Opéra Garnier à Paris. Mais, comme ce soir, je sens que j'ai affaire à des cons, vous n'en aurez pas d'extrait, pas un chicot ! Bonsoir.

mardi 6 mars 2007



En mémoire du Poème sans héros d’Anna Akhmatova


Une soirée, ce samedi, chez des inconnus, sous l’éclipse de lune.

Rond blanc, luminaire devenu lépreux, puis soleil honteux caché, crépuscule de 2 heures du matin,
les invités sous les plombs sautés,
Face blanc cierge,
Présence d’une agonie par pandémie.

Des masques neutres sur le visage,
Ballet d’étudiants, le rabachis du ballet roman étudiant,
des propos aussi creux que ceux rencontrés par Faust durant sa fuite vers Wallpurgis.
(Mes proches faisant le guet, aller-retour entre les toilettes et le couloir toutes les 20 mn.)

Ballet du j’attends d’être installé, voyez-vous ? La vie est devant moi.
Aller-retour par métro du Lavis est devant moi, une ou deux figures plus trempées, certes.
Aller-retour du _

Elle dit,
Tous les paysages se ressemblent, vois-tu ?

On peut voyager, regarder de nos yeux vus l’Inde ou l’Islande, le Mexique ou le Mali. L’important, c’est ce qu’on prend pour soi, mais tout se vaut sous le soleil.
Ceci, dit si sincèrement sous l’éclipse, que je vois Lou Andréas Salomé me parler de l’humanité de la femme, et la place d’un ovule dans la soirée, au milieu de l’appartement, un Palais-Mémoire-Ovule qui se veut œuf philosophique.

Ronds dans l’eau, Sphère blanche sur la mer Prison, ramenant son Numéro sur l’île à chaque feuilleton.

Et moi cherchant à éviter les complications,
passant, autant que faire se peut, d’une fenêtre et d’une pièce à l’autre,
traversant le crépuscule de minuit en jouant le rôle ingrat du crabe ou de Pierrot.

Son homme me prend alors par le bras et me dit,
Othello n’est pas noir.
Mes ancêtres ont regardé leur femme esclave des blancs sous Gobineau.
Aujourd’hui, tout est plus clair, je suis prêt.
Ouvrir les portes des immeubles fermés du Capital,
squatter l’incessant,
sortir me battre à sang dans les manifs.
Tout gronde, les signes avant-coureurs,
Pétrone, Babeuf, Sade ou Reich reviennent, entends-tu leurs grognements dans Paris ?
Je suis prêt, comme toi, pour foirades et révolutions,
Prêt pour flux organique et mouvement de foule devant Anus Elysée.
Que la vie passe !
Que tout respire et s’écroule en triangulation Révolution !

Et moi,
Le crépuscule s’étiole maintenant et la lune réapparaît.
Je crois que le Prince Jaune choisira Tchouang-tseu pour Ministre.
Merci pour la grande beuverie, mon ami.
Ce matin, je reprends possession de mon véhicule et je m’en vais.

Je suis prêt à ma façon, moi aussi.